© Bertrand Gaudillère

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« Deux fois par saison, journalistes et artistes se retrouvent au théâtre du point du jour, s’emparent d’un sujet d’actualité et le « mettent en pièce ».

Lucie Berelowitsch directrice du Préau Centre Dramatique national de Normandie-Vire et Rokhaya Diallo journaliste reconnue pour son travail en faveur des droits humains vont s’interroger sur l’histoire et les violences du racisme,  la permanence des représentations coloniales ainsi que des violences policières en France. Que serait « vraiment rendre justice » ?

Quelle mémoire collective avons-nous ? Qui se souvient de la marche pour l’égalité et contre le racisme du 15 octobre au 3 décembre 1993 qui fut menée à l’initiative de Toumi Djaïdja, victime d’un tir policier il y a 40 ans aux Minguettes. Ils sont partis une quinzaine de Marseille, ils réunirent plus de 100 000 personnes à l'arrivée.

Ce fut un bel espoir et pourtant nous assistons toujours à des crimes racistes, à des jugements dus aux faciès et à la violence de certaines forces de l’ordre.

40 ans plus tard où en sommes nous.

A Angoulême* le 16 Juin Mbappé 18ans tué lors d'un contrôle de la BAC, à Nanterre, le 27 juin Nahel 17ans, tué  lors d’un contrôle de police, le 30 juin Aimène Bahouh 25ans, grièvement blessé au visage par un tir beanbag en marge des émeutes.

Aimène Bahouh déclare quelques jours plus tard :« Je veux que justice soit faite. Mais vraiment faite. Sans haine ». 

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Dans un premier temps, Rokhaya nous fait un petit récapitulatif historique.

Le 27 avril 1848, le décret Schoelcher abolit en théorie l’esclavage mais la situation politique et sociale des esclaves éloignés de la métropole ne change pas.

13 juillet 1990, la loi dite Gayssot énonce dans son article premier que  toute discrimination fondée sur l’appartenance ou la non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion est interdite.

Le 21 mai 2001 la loi Taubira tend à reconnaitre l’esclavage et la traite négrière en tant que crime contre l’humanité.

En France, depuis 2006, le 10 mai est la "journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition".

Et pourtant, les crimes racistes et la discrimination due au faciès  sont toujours bien actuels.

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Connaissez-vous Pierre Bolotte? nous questionne Rokhaya Diallo.

Pierre Bolotte est pour beaucoup un illustre inconnu or cet homme nous fait froid dans le dos. De 1921-2008 administrateur de Vichy puis administrateur colonial, il s’occupe de la répression en Indochine, il couvre les exactions des militaires français en Algérie. Plus tard en poste en Guadeloupe, il mène une politique d’avortements forcés, il ordonne à la police de tirer sur les manifestants. De retour à Paris il est nommé préfet de la Seine St Denis, puis il crée la Brigade anticriminalité… La répression coloniale rejoint la répression raciale.

 

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Comment choisir, que doit-on commémorer ? Qui décide de la mémoire que doit-on raconter? La Commission présidée par André Kaspi avait pour objectif de réfléchir au sens et au contenu des commémorations publiques, il ne souhaite retenir que trois dates dans le cadre d'une commémoration nationale, le 11 nov, le 8 mai et le 14 juillet…

L’usage politique de l’espace public. Petite réflexion sur le nom des rues : 2% de noms de femmes, Faidherbe Chaligny administrateur colonial, Joseph Gallieni, administrateur colonial…

La bêtise humaine. Avec sérieux, profondeur mais aussi ironie Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo nous font découvrir une chaine d'information ultra ségrégationniste « Si nous avons des punaises, c’est certainement à cause de tous ses émigrés… » Les commentaires sont époustouflants de bêtise et de racisme, nous préférons en rire pour ne pas hurler, c’est révoltant.

Intersectionnalité. La notion définie par Kimberlé Crenshaw pour désigner les différentes formes d’oppressions : le racisme, le sexisme, l'homophobie, la transphobie qui malheureusement s'articulent et se renforcent mutuellement. Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo l' illustrent  par un  montage de plusieurs émissions  télévisées, qui  nous jette aux yeux le machisme de certains journalistes vis-à-vis de Rokhaya Diallo, non seulement c’est une femme mais en plus elle est noire …On ne lui laisse point le temps de s'exprimer, c'est odieux.

Le rôle  de l’art. Rokhaya Diallo nous fait connaitre Fernando Sánchez Castillo né en1970 à Madrid, il s’intéresse à la place que la révolution et l’agitation sociale occupent dans l’art et la société. Un artiste à découvrir.

Nous assistons à un interview d’Angela Davis par Rokhaya Diallo. L’icône des luttes féministes et de l’antiracisme nous répète:  "Il faut se battre pour la liberté de tous. "

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Surprise finale, Toumi Djaidja arrive sur le plateau, c’est très émouvant.

« Bonjour, la France de toutes les couleurs, il faut continuer à marcher, une marche pour l’égalité pour tous »

Lucie Berelowitsch et Rokhaya Diallo nous captivent pendant 1H30 en nous remémorant encore bien des faits concernant les discriminations, le racisme, le colonialisme.

Par intermèdes, des reprises de Nina Simone sont interprétés par Cindy Pooch qui nous offre aussi quelques-unes de ses compositions. En live, côté cour, la musique de Baptiste Mayoraz nous réjouit et intensifie les émotions.

La conception et la mise en scène sont  orchestrées avec ingéniosité, mêlant  gravité, humanité, sensibilité et ironie.

Merci pour ce grand moment qui devrait être podcasté pour être entendu par un grand public en ces moments de tourments.

*https://www.critiquetheatreclau.com/2023/07/a-lire-et-partager-pour-la-memoire-d-alhoussein-ce-jeune-homme-tue-lors-d-un-controle-de-police-a-angouleme.html

Claudine Arrazat

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Conception Lucie Berelowitsch avec La Journaliste Rokhaya Diallo / Mise En Scène Lucie Berelowitsch / Musique Et Collaboration Artistique Sylvain Jacques / Collaboration Artistique Eric Massé / Collaboration Technique Quentin Chambeaud, Fabienne Gras, Thierry Pertière

Production Théâtre Du Point Du Jour, Lyon / Coproduction Le Préau, CDN De Normandie-Vire

Durée Estimée 1h30

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